La Fédération du commerce et de la distribution (FCD), représente les plus grands distributeurs français - Carrefour, Casino, Auchan, Système U - à l'exception de Leclerc et Intermarché. Dans une interview aux « Echos », son délégué général, Jacques Creyssel, alerte les candidats à la présidentielle sur les enjeux à venir d'un secteur qui « pèse » 200 milliards d'euros de chiffre d'affaires et emploie 750.000 personnes en France.

La FCD sort un document intitulé : « Commerce et distribution, pour une politique d'avenir claire et ambitieuse ». C'est un catalogue de vos demandes aux candidats à la présidentielle ?

Ce n'est pas un catalogue ! C'est l'analyse détaillée des défis que l'un des secteurs d'activité les plus importants de notre économie va relever dans les années qui viennent. Le commerce n'est que rarement au coeur des campagnes électorales. Pourtant, c'est un acteur économique majeur qui représente au total plus de 1,7 million d'emplois - avec des entreprises qui sont les premiers recruteurs de jeunes peu qualifiés - et se situe au coeur d'une croissance qui s'appuie beaucoup sur la consommation. Ce secteur, longtemps considéré comme résilient, se trouve aujourd'hui au coeur d'une triple révolution : révolution des modes de consommation en faveur de plus de qualité, révolution digitale qui consacre le modèle omnicanal et révolution économique avec notamment l'instabilité des matières premières. Ce que nous demandons aux futurs gouvernants, c'est une vraie politique du commerce, fondée sur l'égalité des conditions de concurrence, car nous sommes persuadés que les révolutions en cours peuvent être une chance.

La plupart de vos revendications ne visent-elles pas à consolider le modèle de distribution omnicanal ?

On le voit, c'est bien la combinaison entre les magasins physiques et la vente en ligne qui constitue le modèle gagnant, et rentable, du commerce de demain. C'est à la fois plus de choix et de services pour le consommateur et pour le commerçant l'opportunité de remettre en avant le plaisir dans la consommation. Pour cela, il faut impérativement une égalité fiscale entre tous les acteurs, distributeurs « omnicanaux » et « pure players » d'e-commerce. Ces derniers, notamment ceux qui opèrent depuis l'extérieur de l'Europe, comme le chinois Alibaba, échappent en partie à l'impôt sur les sociétés et à la TVA. A l'inverse, le commerce physique est assujetti à une lourde fiscalité sur le bâti : la Tascom, qui porte sur les mètres carrés, et les impôts locaux. Au total, cela représente près de 1 % du chiffre d'affaires des distributeurs, soit l'équivalent de leur marge nette. Nous proposons la suppression de l'essentiel de ces taxes et un transfert sur la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et la TVA. Cette égalité fiscale est essentielle pour soutenir les magasins qui animent nos centres-villes. L'égalité des règles, c'est aussi rendre possible une plus grande ouverture des magasins, le dimanche et en soirée.

Selon vous, la révolution en cours aura-t-elle un impact fort sur les emplois ?

Oui, et là encore, il faut y voir une formidable opportunité. La digitalisation, c'est aussi l'évolution des types d'emploi. On parle souvent d'ubérisation. Mais on parle moins de l'apparition de nouveaux métiers qui génèrent de l'embauche, comme les spécialistes des données (« data scientists »), des designers adaptés au Web, des spécialistes du merchandising virtuel, des experts en sécurité informatique, etc. Il faut aussi mettre cela en parallèle avec le développement de la robotisation. Cela concerne pour partie les caisses, les entrepôts mais aussi à terme la livraison avec les véhicules autonomes. Nous n'avons pas une vision pessimiste de ces évolutions, bien au contraire. Si certains postes traditionnels peuvent être affectés, d'autres métiers existants vont avoir des besoins accrus : les métiers de bouche, les vendeurs et plus généralement les métiers de service essentiels à l'attractivité des magasins. Pour accompagner ces mouvements, nous préconisons de supprimer totalement les charges sociales sur le SMIC et de poursuivre ces nouvelles baisses de charges, de façon dégressive, jusqu'à au moins 2,5 SMIC. Le CICE a eu des effets positifs sur l'emploi qu'il faut développer. Il ne faut pas oublier que le commerce électronique emploie deux à trois fois moins de salariés que le commerce physique à chiffre d'affaires égal.

La distribution est aussi confrontée à un changement des modes de consommation. Il existe une réelle défiance à l'égard des produits alimentaires. N'est-ce pas là le plus grand défi des distributeurs, et de leurs fournisseurs ?

79 % des Français jugent probable que les aliments ont un effet sur leur santé. C'est un vrai défi qu'il nous faut relever ! Les consommateurs recherchent plus de qualité et plébiscitent les produits des PME qui ont représenté 84 % de la croissance du marché des produits de grande consommation en 2016 ! Concernant le boeuf et le lait, nous assistons à une baisse structurelle de la consommation. Ajouté à la volatilité du cours des matières premières au niveau mondial, cela pousse à la remise en question du modèle agricole français. Les réformes successives de la PAC ont privilégié l'ouverture au marché. Il faut en tirer les conséquences. Dans un système de marché, c'est le consommateur qui décide. Il est aberrant que l'on soit obligé d'importer les deux tiers des volumes de porc bio, alors que celui-ci est bien mieux rémunéré que le porc traditionnel. Autre exemple : les Français aiment le raisin sans pépin et nous le faisons venir d'Italie. Il faut intégrer dans les interprofessions la distribution, qui connaît les attentes du consommateur, et développer des filières avec des contrats pluriannuels. La France a besoin d'une nouvelle stratégie agricole fondée sur une autre approche, de la fourchette à la fourche et non plus l'inverse.

Philippe Bertrand, Les Echos